En 2010, l’association reconnue d’intérêt général l’Action Tank naît sous l’impulsion de Martin Hirsch et d’Emmanuel Faber. Cette entité rassemble divers acteurs (entreprises, acteurs publics, associations et milieux académiques) partageant la même ambition : contribuer à la réduction de la pauvreté et de l’exclusion en France.
Le 30 janvier dernier, l’Action Tank a rendu publique la 3ᵉ édition de son étude sur la double pénalité de la pauvreté en France, menée en collaboration avec La Banque Postale, le Boston Consulting Group et la Délégation Interministérielle à la Prévention et la Lutte contre la Pauvreté.
« Les ménages français les plus modestes payent plus cher les mêmes biens et services que le reste de la population : c’est l’effet de la double pénalité de pauvreté »
Pouvez-vous rappeler ce que signifie la “double pénalité de pauvreté” ? Pourquoi cette nouvelle édition de l’étude de la double pénalité de pauvreté en 2023 ?
Action Thank : Parce que leurs logements sont souvent mal isolés, qu’ils sont contraints de s’approvisionner à proximité de chez eux dans des magasins plus onéreux ou doivent recourir au crédit pour accéder à certains biens d’équipement, les ménages français les plus modestes se retrouvent à payer plus cher les mêmes biens et services que le reste de la population. C’est l’effet de la double pénalité de pauvreté.
Les deux premières études menées par l’Action Tank en 2011 et 2022 s’étaient concentrées sur les problématiques de compréhension des formes et des mécanismes de la double pénalité de pauvreté et de la quantification de la double pénalité par poste budgétaire. Ces deux premières études avaient également permis d’identifier des axes d’amélioration pour approfondir la connaissance de ce phénomène en France. L’Action Tank a donc souhaité conduire une 3ᵉ édition de cette étude, reposant sur une méthodologie inédite :
- La reconduction du volet quantitatif de l’étude, réalisée en partenariat avec le Boston Consulting Group (BCG) permettant de documenter les facteurs de double pénalité, leur prévalence sur la base de données statistiques nationales, le montant moyen par facteur, par poste de dépense et total de la double pénalité de pauvreté. Cette étude s’appuie notamment sur les données de l’enquête INSEE Budgets de Famille de 2017, qui ont été actualisées en prenant en compte l’inflation entre 2017 et 2022, et des analyses sectorielles de l’offre actuelle.
- La réalisation d’une enquête menée par OpinionWay auprès de 1000 ménages des deux premiers déciles de niveaux de vie en France. Cette enquête permet de mieux cerner quelle est la réalité de la double peine des Français, en mesurant plus finement la prévalence de la double pénalité sectorielle, la distribution de la double pénalité totale, et en analysant leurs déterminants. La double peine est-elle concentrée chez certains ménages des deux premiers déciles de niveaux de vie ou répartie de façon homogène ? Quels sont les profils qui sont confrontés à une double pénalité élevée en euros ou en part de leur budget ?
Quels sont les résultats de cette nouvelle étude ? Quelle est l’ampleur de la double pénalité de pauvreté aujourd’hui en France ?
Action Tank : En 2023, on estime que la double pénalité annuelle s’élève, en moyenne, à 745€ pour les ménages du 1er décile de niveau de vie et 640€ par an pour les ménages du 2ᵉ décile, soit respectivement 12 et 8 semaines d’approvisionnement alimentaire. 90% de la double pénalité est concentrée sur 5 postes de dépense : logement, énergie, mobilité, assurance et emprunt.
Ces montants moyens de double pénalité cachent des disparités très fortes parmi la population pauvre. En effet, selon leurs profils de consommation, lieux de résidence, fragilité financière, les ménages pauvres font face à plus ou moins de facteurs de double pénalité. La double pénalité de pauvreté peut atteindre des niveaux en euros et en proportion du budget des ménages pauvres très élevés : ainsi, 20% des ménages pauvres ont une double pénalité qui représente plus de 1000€ par an et 16% des ménages ont une double pénalité qui représente plus de 10% de leurs revenus.
Les jeunes de moins de 25 ans, les ménages gagnant moins de 750€ par mois, les étudiants et élèves, les intérimaires, les agriculteurs, les bénéficiaires de minima sociaux, notamment les ménages ayant une reconnaissance de situation de handicap, font partie des profils les plus affectés par une double pénalité importante. Le montant de la double pénalité est croissant avec la taille de l’agglomération et particulièrement élevé en Ile-de-France, Centre Val-de-Loire, Grand Est, Haut-de-France et Corse.
Si l’inflation de ces derniers mois a eu un effet inégal sur la double pénalité de pauvreté selon les postes de dépense, elle a conduit à une réduction des marges de manœuvre budgétaires des ménages pauvres et une hausse de l’impact financier que représente cette double pénalité. Il est urgent de mieux s’attaquer à ce phénomène grâce à la mobilisation et l’action conjointe des pouvoirs publics, des entreprises, des associations et des ménages qui subissent cette double peine.
« La double pénalité annuelle s’élève, en moyenne, à 745€ pour les ménages du 1er décile de niveau de vie et 640€ par an pour les ménages du 2ᵉ décile »
Comment peut-on lutter contre ce phénomène ? Quelles sont les solutions existantes identifiées ?
Action Tank : Du côté des aides publiques, des leviers d’amélioration existent pour minimiser la double peine à la racine. Par exemple, sur les aides sociales, 37 % des foyers éligibles n’ont jamais recours à l’APL, ce chiffre monte à 72 % pour les étudiants. Simplifier les démarches et mettre en place des attributions automatiques limiterait le taux de non-recours aux aides, avec in fine une réduction significative de la double peine sur les catégories de dépenses concernées.
Sur les frais bancaires, une piste envisageable serait de généraliser les critères d’éligibilité au statut de client fragile sur la base des revenus afin d’harmoniser les pratiques entre les banques.
Les entreprises ont également un rôle à jouer pour réduire la double peine des ménages les plus modestes : :
- Si la concurrence entre acteurs peut permettre d’étoffer une gamme de produits et de services pour le même prix, ou bien de baisser les prix, ces mêmes acteurs peuvent également décider de proposer des offres solidaires et inclusives.
- Une communication transparente envers les consommateurs est essentielle pour réduire la double peine, en ce qu’elle contribue à lever certains biais cognitifs qui conduisent à un surcoût. Quelques exemples mis en avant par l’étude : faire apparaître le prix total payé sur la durée d’engagement d’une facture de télécommunication, donner plus de visibilité aux simulateurs d’habitudes de consommation ou encore mieux sensibiliser aux risques et coûts du crédit à la consommation.
Pour prendre connaissance des résultats plus détaillés de cette 3ᵉ édition de l’étude, vous pouvez télécharger un document de synthèse sur le site de l’Action Tank : https://www.at-entreprise-pauvrete.org/toutes-nos-publications/etude-de-la-double-penalite-de-pauvrete-en-france-2023/